- Et vous êtes
en direct ?
- Nous sommes en direct avec la population, donc en direct à la
radio.
- Toute la ville vous écoute ?
- Toute la ville m'écoute et je pense que c'était tout le
Congo qui m'écoutait aussi.
- Tout le Congo ?
- Tout le Congo, ceux qui avaient
des postes de radio.
Th.Kanza,
ministre:
Le Premier ministre me donne le discours. Il était déjà
écrit, dactylographié. Alors ma première réaction
a été de dire :
- "Monsieur le Premier ministre, c'est un excellent discours. C'est
le genre de discours que vous pouvez prononcer au stade, c'est formidable,
c'est ce qu'il faut pour le peuple le jour de l'indépendance. Mais
le Parlement n'était ni l'endroit ni l'occasion de prononcer ce
discours."
Antoine
Lumenganeso raconte
- Après le discours du roi Baudouin 1er, c'est le chef de
l'Etat congolais Kasa-Vubu, Joseph Kasa-Vubu qui prend la parole
"A tous ceux qui ont donné sans compter leurs souffrances,
leurs privations, et même leur vie, pour que se réalise enfin
leur rêve audacieux d'un Congo libre et indépendant."
(Applaudissements)
Thomas Kanza, ministre, raconte
ce que lui dit alors le Premier ministre Lumumba
- "Thomas, je vais parler, parce que le président Kasa-Vubu
nous a humiliés. Il va prononcer un discours qu'il a montré
au gouvernement belge mais qu'il ne nous a pas montré".
Tout ce que je te demande: revois un peu ce discours, atténue à
gauche, à droite, les passages que toi, tu penses être un
peu extrémistes".
Thomas Kanza: Et quand nous arriverons au Parlement, je rencontrerai le
Premier ministre Eyskens et le ministre des Affaires étrangères
Wigny. Je leur dirai personnellement: "Messieurs les Ministres, je
crois que nous avons intérêt à reporter, ne serait-ce
que d'une heure, la séance de la proclamation de l'indépendance
pour vous donner le temps de négocier avec le Premier ministre
Lumumba, parce qu'il va parler." Mais ils étaient tellement
sûrs que Lumumba ne parlerait pas qu'ils n'ont pas voulu accepter
ma suggestion.
- Tout le temps, quand Sa Majesté le roi Baudouin parlait, même
quand le président Kasa-Vubu parlait, Monsieur Lumumba corrigeait
son manuscrit.
- Et mes yeux croisaient tout le temps les yeux de Monsieur Eyskens et
de Monsieur Wigny.
- Qui savaient ce qui allait se passer?
- Ils commençaient à se demander, est-ce que, ce que je
leur avais dit, pourrait se réaliser ? Je leur avais dit : "Qui
empêcherait Monsieur Kasongo, qui présidait la séance,
de donner la parole au Premier ministre ?".
Voici
maintenant Monsieur Lumumba qui monte devant le bureau présidentiel.
Patrice Lumumba
" Congolais et Congolaises, combattants de l'indépendance
aujourd'hui victorieux,..."
Thomas Kanza
- Même Sa Majesté le roi Baudouin s'est tourné vers
le Président Kasa-Vubu pour demander : "Qu'est-ce qui se passe?"
Lumumba a parlé. Vous connaissez le discours. La salle était
vraiment silencieuse mais dehors...
parce que le discours
était retransmis par des haut-parleurs, dehors, c'étaient
des applaudissements, des acclamations...
- Vous entendiez ce qui se passait dehors ?
- Oui, on entendait ce qui se passait dehors parce que nous, on était
vraiment dans un silence, un silence inquiétant parce que les gens
se demandaient: "Comment est-ce que Lumumba a osé d'abord
parler puisque ce n'était pas prévu?" Chacun de nous
avait l'ordre du jour...
- Et puis ce qu'il dit ?
- Et puis ce qu'il disait!
Patrice Lumumba
"Nous avons connu que la loi n'était jamais la même,
selon qu'il s'agissait d'un Blanc ou d'un Noir, accommodante pour les
uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous allons revoir toutes les
lois d'autrefois et en faire de nouvelles, qui seront justes et nobles."
|
"
Congolais et Congolaises, combattants de l'indépendance aujourd'hui
victorieux.A vous tous, mes amis qui avez lutté sans relâche
à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin
1960 une date illustre que vous garderez " ineffaçablement
" gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez
avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci
à leur tour fassent connaître à leurs fils et à
leurs petits-fils l'histoire glorieuse de notre lutte pour la libertés.
Car
cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd'hui
dans l'entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d'égal
à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier
cependant que c'est par la lutte qu'elle a été conquise,
une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une
lutte dans laquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni
nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang.
C'est
une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au
plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste,
une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage,
qui nous était imposé par la force. Ce que fut notre sort
en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches
et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre
mémoire.
Nous
avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires
qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous
vêtir ou de nous loger décemment, ni d'élever nos
enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les
insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce
que nous étions des nègres.
Qui oubliera qu'à un noir on disait "Tu", non certes
comme à un ami, mais parce que le "Vous" honorable était
réservé aux seuls blancs ? Nous avons connu nos terres spoliées
au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que
reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loi n'était
jamais la même, selon qu'il s'agissait d'un blanc ou d'un noir,
accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine Pour les autres.
Nous
avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions
politiques ou, croyances religieuses : exilés dans leur propre
patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous
avons connu qu'il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour
les blancs et des paillottes croulantes pour les noirs : qu'un noir n'était
admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les
magasins dits européens, qu'un noir voyageait à même
la coque des péniches au pied du blanc dans sa cabine de luxe.
Qui
oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos
frères, ou les cachots où furent brutalement jetés
ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d'injustice
? Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert,
mais tout cela aussi, nous, que le vote de vos représentants élus
a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert
dans notre corps et dans notre coeur de l'oppression colonialiste, nous
vous le disons, tout cela est désormais fini.
La
République du Congo a été proclamée et notre
cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants (...)".
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