Extrait de L'Eloge de la fuite par Henri laborit

 

 

Aimer l'autre, cela devrait vouloir dire que l'on admet qu'il puisse penser, sentir, agir de façon non conforme à nos désirs, à notre propre gratification, accepter qu'il vive conformément à son système de gratification personnel et non conformément au nôtre.

Mais l'apprentissage culturel au cours des millénaires a tellement lié le sentiment amoureux à celui de possession, d'appropriation, de dépendance par rapport à l'image que nous nous faisons de l'autre, que celui qui se comporterait ainsi serait en effet qualifié d'indifférent.

Le seul amour qui soit vraiment humain, c'est un amour imaginaire, c'est celui après lequel on court toute sa vie durant, qui trouve généralement son origine dans l'être aimé, mais qui n'en aura bientôt plus ni la taille , ni la forme palpable, ni la voix, pour devenir une véritable création, une image sans réalité. Alors, il ne faut surtout pas essayer de faire coïncider cette image avec l'être qui lui a donné naissance, qui lui n'est qu'un pauvre homme ou qu'une pauvre femme, qui a fort à faire avec son inconscient.C'est avec cet amour là qu'il faut se gratifier, avec ce qu'on croit être et qui n'est pas, avec le désir et non avec la connaissance.

Cependant, il existe d'autres espaces gratifiants que celui qui vous entoure immédiatement, et qui sont tout aussi réels que lui, mais médiats. C'est grâce à eux que l'on peut atteindre le collectif, le social. L'espace planétaire en est un, et les structures sociales qui le remplissent sont une réalité. Mais cette réalité, vous ne pouvez l'atteindre avec la main, les yeux, les lèvres. Vous ne pouvez l'influencer que par l'intermédiaire des mass media. Vous ne pouvez exercer sur elle une autorité, un pouvoir, qu'à travers la symbolique du language, et l'expression des concepts. Vous vous heurtez bien évidement aux langages et aux concepts dominants. Mais votre lutte s'engagera à un autre niveau d'organisation que celui où se tiennent les rapports d'homme à homme. Vous ne vous laisserez plus enfermer dans un espace étroit au sein duquel tout l'inconscient dominateur des individualités entre en conflit pour l'obtention de la dominance.

Et surtout vous pouvez fuir, vous pouvez vous regrouper à un autre niveau d'organisation, jusqu'aux limites de la planète. Il s'agit en définitive de faire de votre réalité une structure ouverte et non pas une structure fermée par les frontières de l'Oedipe familial ou social.

(...) déçus? Bien sur vous l'êtes. Entendre parler de l'Amour comme je viens de le faire a quelque chose de révoltant. Mais cela vous rassure en raison même de la différence. Car vous, vous savez que l'esprit transcende la matière. Vous savez que c'est l'amour particulier, comme l'amour universel, qui transporte l'homme au-dessus de lui même. L'amour qui lui fait accepter parfois le sacrifice de sa vie.

"Parrroles, parroles, parroles" chuchote Dalida avec cet accent si profondément humain qu'il touche au plus profond du coeur les foules du monde libre.

Vous savez, vous, que ce ne sont pas que des mots, que ce qui a fait la gloire des générations qui nous ont précédées, sont des valeurs éternelles, grâce auxquelles nous avons abouti à la civilisation industrielle, aux tortures, aux guerres d'extermination, à la destruction de la biosphère, à la robotisation de l'homme et aux grands ensembles. Ce ne sont pas les jeunes générations évidement qui peuvent être rendues responsables d'une telle réussite. Elles n'étaient pas encore là pour la façonner. Elles ne savent plus ce que c'est le travail, la famille, la patrie. Elles risquent même demain de détruire ces hiérarchies, si indispensables à la récompense du mérite, à la création de l'élite. Ces penseurs profonds qui depuis quelques temps peuplent de leurs écrits nos librairies, et que la critique toute entière se plaît à considérer comme de véritables humanistes, sachant exprimer avec des accents si "authentiques " toute la grandeur et la solitude de la condition humaine , nous ont dit: retournons aux valeurs qui ont fait le bonheur des générations passées et sans lesquelles aucune société ne peut espérer arriver où nous en sommes.

Sans quoi nous risquons de perdre des élites comme celles auxquelles ils appartiennent, ce qui serait dommage. Qui décidera de l'attribution des crédits, de l'emploi de la plus-value, qui dirigera aussi " humainement " les grandes entreprises, les banques, qui tiendra dans ces mains les leviers de l'état, ceux du commerce et de l'industrie, qui sera capable enfin de perpétuer le monde moderne, tel qu'eux même l'ont fait ?

Et toute cette jeunesse qui profite de ce monde idéal, tout en le récusant, ferait mieux de se mettre au travail, d'assurer son avenir promotionnel et l'expansion économique, qui est le plus sûr moyen d'assurer le bonheur de l'homme.

La violence n'a jamais conduit à rien, si ce n'est à la révolution, à la Terreur, aux guerres de Vendée et aux droits de l'homme et du citoyen. Sans doute il y a des bombes à billes, au napalm, les défoliants, les cadences dans les usines, les appariteurs musclés, mais tout cela ( pour ne citer qu'eux ) n'existe que pour apprendre à apprécier le monde libre à ceux qui ne savent pas ce qu'est la liberté et la civilisation judéo-chrétienne. (...)

Alors que ces pauvres innocent de la curette et de l'aspirateur ne sauront jamais les joies qu'ils ont perdues, le bonheur de se trouver parmi nous. Heureusement qu'il nous reste saint François d'Assise, Paul VI et Michel Droit. Heureusement qu'il existe encore des gens qui savent, eux, pourquoi ils ont vécu, et pourquoi ils vivent. Demandez-leur. Ils vous diront que c'est pour l'Amour avec un grand A, pour les autres, grâce au sacrifice d'eux mêmes. Et il faut les croire, par ce que ce sont des êtres conscients et responsables. Il suffit de voir leur têtes pour comprendre combien ils ont souffert dans leur renoncement!

Cette image a gentillement été prètée par Marquis

J'aurais pu vous dire que ma motivation profonde depuis mon plus jeune âge avait été de soulager l'humanité souffrante(l'humanité est toujours souffrante, vous avez remarqué?), de trouver des drogues qui guérissent, d'opérer et de panser des plaies saignantes, que j'avais toujours cherché derrière le corps physique à atteindre l'homme tout entier, moral et spirituel, à grands coups de colloques singuliers payables à la sortie. A cela, toute mon hérédité familiale m'avait conduit...

Au lieu de cela, vous découvrez un homme, qui suivant les critères qui sont les vôtres, vous dit que nous sommes tous pourris, tous vendus, qu'il n'existe à son avis ni amour, ni altruisme, ni liberté, ni responsabilité, ni mérite qui puissent répondre à des critères fixés d'avance, à une échelle de valeurs humainement conçue, que tout cela est une chienlit pour permettre l'établissement des dominances. Que les choses se contentent d'être, sans valeur autre que celle que lui attribue un ensemble social particulier.

Ainsi, j'ai compris que ce que l'on appelle " amour " naissait du renforcement de l'action gratifiante autorisée par un autre être situé dans notre espace opérationnel et que le mal d'amour résultait du fait que cet être pouvait refuser d'être notre objet gratifiant ou devenir celui d'un autre, se soustrayant ainsi plus ou moins complètement à notre action.

Que ce refus ou ce partage blessait l'image idéale que l'on se faisait de soi, blessait notre narcissisme et initiait soit la dépression, soit l'agressivité, soit le dénigrement de l'être aimé.

J'ai compris aussi ce que bien d'autres avaient découvert avant moi, que l'on naît, que l'on vit, et que l'on meurt seul au monde, enfermé dans sa structure biologique qui n'a qu'une seule raison d'être, celle de se conserver.

Mais j'ai découvert aussi que, chose étrange, la mémoire et l'apprentissage faisait pénétrer les autres dans cette structure, et qu'au niveau de l'organisation du moi, elle n'était plus qu'eux.

J'ai compris enfin que la source profonde de l'angoisse existentiel, occultée par la vie quotidienne et les relations interindividuelles dans une société de production, c'était cette solitude de notre structure biologique enfermant en elle- même l'ensemble, souvent anonyme, des expériences que nous avons retenues des autres.

Angoisse de ne pas comprendre ce que nous sommes et ce qu'ils sont, prisonniers au même monde de l'incohérence et de la mort.

J'ai compris que ce que l'on nomme amour ne pouvait être que le cri prolongé du prisonnier que l'on mène au supplice, conscient de l'absurdité de son innocence; ce cri désespéré, appelant l'autre à l'aide et auquel aucun écho ne répond jamais. Le cri du Christ en croix:" Eli, Eli, lamma sabatchani " "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?". Il n'y avait là, pour lui répondre, que le Dieu de l'élite et du sanhédrin. Le Dieu des plus forts. C'est sans doute pourquoi on peut envier ceux qui n'ont pas l'occasion de pousser un tel cri, les riches, les nantis, les tout-content d'eux mêmes, les fiers à bras du mérite, les héros de l'effort récompensé, les faites-donc-comme-moi, les j'estime-que, les il est évident-que, les sublimateurs, les certains, les justes. Ceux là n'appellent jamais à l'aide, ils se contentent de chercher des "appuis" pour leur promotion sociale. Car, depuis l'enfance, on leur a dit que seule cette dernière était capable d'assurer leur bonheur. Ils n'ont pas le temps d'aimer, trop occupés qu'ils sont à gravir les échelons de leur échelle hiérarchique. Mais ils conseillent fortement aux autres l'utilisation de cette "valeur" la plus "haute" dont ils s'affirment d'ailleurs pétris.